Programme du 24 Avril au 12 Juin 2012






 





 


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R E N C O N T R E


Vendredi 11 Mai 21h00

CHERCHER LE GARCON

En présence de la réalisatrice: 
Dorothée SEBBAGH


et de 
Maxime GAVAUDAN
Ingénieur du son et Producteur
Michel DUNAN
Directeur de la photographie

 
France, 2012, 1h10
Avec :Sophie Cattani, Moussa Maaskri, Aurélie Vaneck, Gérard Bubouche


Un soir de réveillon en compagnied'une bouteille de champagne,Émilie,35 ans,s'inscrit sur Meet Me, célèbre site de rencontres sur Internet, avec une bonne résolution pour la nouvelle année : trouver l'amour. 


Il y a beaucoup d'hommes sur Meet Me : des cyniques, des comiques, quelques loustiques et même de grands romantiques. Émilie est loin d'imaginer ce qui l'attend In Real Life... dans la vraie vie.

Aucun des comédiens du film n’avait de texte écrit pour les séquences de rendez-vous. Ces scènes étaient placées sous le signe de l'improvisation selon la volonté de la réalisatrice : "Le principe était de filmer, quasiment sur un mode documentaire, la rencontre de deux personnes qui ne se connaissent pas. 
La comédienne et les comédiens ne s’étaient jamais vus avant le jour du tournage, ils ne se disaient même pas bonjour avant que l’on tourne. Ils devaient se rencontrer sous l’œil de la caméra, en improvisant à partir de leurprofil et leur passé sur le site de rencontres…"





 Chercher le garçon a entièrement été tourné en décors naturels sur la côte marseillaise ainsi que sur les îles du Frioul




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 Une bourgade perdue de l’Amérique profonde, mi-white trash mi-gothique, où «les gens voudraient être laissés tranquilles». L’ombre maléfique de son clocher, beffroi fou serti de sept horloges qui toutes indiquent un horaire différent. Son shérif matois à tête de rat, ébéniste animalier et nouvelliste d’horreur à ses heures perdues, qui sont nombreuses. Sa morgue, où l’on se livre à des séances de spiritisme absurdes. Son lac, bordé par le lupanar goth d’une communauté rebelle, ados corbeaux lecteurs de Baudelaire, cracheurs de feu fugueurs et «traînées démoniaques», sur laquelle règne en souverain blafard un jeune biker au visage d’ange sombre. La carcasse décatie de son hôtel abandonné à la poussière qui se fit le théâtre d’un carnage dont nul ne veut plus entendre parler. Un cadavre frais, sans meurtrier (mais avec un pieu dans le cœur). Le spectre d’Edgar Allan Poe et ses névroses romantiques. Une blonde apparition, mi-vierge boutonneuse au corset maculé de sang mi-vampire aux dents baguées, bardée de signes sorciers. Un écrivain de passage, Stephen King au rabais, à qui le climat d’étrange de la ville procure soudain un frisson d’inspiration inespéré.


Drame forain, farce d’épouvante teintée de mythologies pop, conte bouffon qui commence par «Il était une fois…», voilà Twixt. Est-ce n’importe quoi ? Un petit peu, forcément. C’est surtout très drôle et très doux, d’une beauté folle, et c’est le nouveau film, absolument renversant, de Francis Ford Coppola.
Secoué, extravagant au bord du délire, Twixt l’est assurément - au point qu’il ferait passer son prédécesseur, le pourtant très baroque Tetro, pour un précis de classicisme. Mais Twixt ne l’est qu’à la mesure de la liberté insensée qu’il s’accorde, de la légèreté allègre du trait, qui a pour double fond un abîme de furieuse mélancolie. C’est un cabinet romantique repeint aux couleurs de la pitrerie désespérée ; une manière de Mulholland Drive lo-fi et intime, délesté des ors et de la pompe hollywoodienne, livré à un tragique filtré, allégé de tout. Et c’est aussi là sans doute le film le plus cruellement personnel de son auteur.


De Twixt, Coppola assure qu’il trouve son origine dans un rêve arrosé au raki, un soir d’ivresse stambouliote. Un rêve si obsédant, et si intimement douloureux qu’il ressentit le besoin d’en retranscrire le halo dans un film, d’y incruster numériquement quelques démons intimes que ses visions semblaient appeler à elles, et d’y livrer, comme un secret à peine déguisé, le récit impossible d’une blessure qui le ronge depuis vingt-cinq ans, sans jamais s’y être aventuré sur un plateau de cinéma. Discrètement criblé de fétiches ados, reflets voilés de la filmographie eighties du cinéaste (Outsiders, Rusty James, Peggy Sue), Twixt se fait l’écho du drame qui saccagea cette même décennie pour le clan Coppola : la mort, en 1986, du fils aîné, Gian-Carlo, dans un accident de hors-bord lors du tournage de Jardins de pierre et le ressac amer qui s’ensuivit. Au foisonnement fantasmagorique d’un conte imprégné de rêveries traumatisées, la pente indécidable du film offre pour conducteur et miroir déformant son protagoniste, incarné par un acteur qui est lui-même un revenant, Val Kilmer.



Carbonisé par les daubes, guère maquillé, très en chair et en cheveux (ce catogan blond…), il irrigue Twixt de sa présence à peine moins monstrueuse et surnaturelle que la pourtant très grimée (et magnifique) Elle Fanning. Surtout, il trouve là un rôle étincelant en son personnage d’enquêteur-romancier balourd, alcoolique, endetté, harcelé par sa femme et rincé par la culpabilité d’avoir un jour laissé sa fille partir en mer pour ne jamais la voir revenir. Acculé à écrire un best-seller, il croit en trouver le sel dans le tissu de fantasmagories de la petite ville où il s’établit dans un motel miteux. S’ensuivent quelques tentatives peu concluantes, où Kilmer s’exténue face à la page blanche à retourner un lieu commun de roman fantastique, «la brume sur le lac», dans un exercice de style désopilant, nourri de grimaces et de voix contrefaites - «La brume sur le lac… La brume sur le lac… me rappelle ma première épouse ; elle s’est dissipée avec le temps» ou encore «La brume sur le lac… a fait de moi un basketteur noir et gay des sixties. J’apprécie les shorts courts, et le taffetas».

 Puis, peu à peu, il s’abandonne (et le film avec lui) aux visions que lui inspire le décor, fantasmes en noir et acier, dont chaque effet numérique paraît surligné, qui tranchent avec la HD orangée et les couleurs patraques des scènes de jour. C’est là qu’il lui revient de remonter les fils enchevêtrés du récit d’investigation, du film fantastique et de sa douleur. De courir après les spectres de douze orphelins assassinés, en des plans étranges qui ne semblent répondre qu’à la seule logique, très libre, du désir de les concevoir et de baigner ainsi, par exemple, de rouge sang le jaune vif d’un citron.



Etourdi, séduit comme le spectateur par cette parade de l’étrange, le film s’enivre de son propre vertige, s’en amuse même. Quelque chose se détraque un peu quand il se met à courir tous les diables à la fois mais Twixt ne mène pas moins droit vers le foyer des mirages où vagabonde son personnage visionnaire, une corniche étroite sur le flanc d’une falaise. On chemine alors soudain avec lui le long d’un gouffre de mémoire endolorie ; en contrebas, il y a les eaux orageuses du traumatisme et de la honte. Que Twixt et Coppola aient réservé leur tremblement le plus tragique et saisissant à ce plan-somme, le plus ouvertement artificiel, trafiqué et reconstitué du film, laisse alors simplement pantois.   JULIEN GESTER


Francis Ford Coppola: 
“Un film, c’est comme une confession”



BONUS

La Master class de Francis Ford Coppola (VF) 11/11/09
animée par Pascal Mérigeau, journaliste au Nouvel Observateur


Issu d’une famille d’artistes d’origine sicilienne, Francis Ford Coppola débute au cinéma aux côtés de Roger Corman avant de signer ses premières oeuvres, parmi lesquelles Dementia 13 en 1963, La Vallée du bonheur en 1968 ou encore Les Gens de la pluie en 1969. Cette même année, il fonde, avec George Lucas, les studios American Zoetrope. Son premier grand succès, il l’obtient en 1970 avec Patton, Oscar du meilleur scénario original. Mais son statut de grand cinéaste n’est reconnu qu’après la réalisation des deux premiers volets de la saga des Corleone sur la mafia italo-américaine, récompensés par l’Oscar du meilleur film et celui du meilleur réalisateur pour Le Parrain 2. En 1974, Coppola signe le remarquable Conversation secrète, film d’espionnage qui surgit sur les écrans en plein Watergate, récompensé par la Palme d’or du Festival de Cannes. Les années qui suivent sont consacrées à la démentielle aventure
d’Apocalypse Now, transposition dans le cadre de la guerre du Vietnam du récit de Joseph Conrad, “Au coeur des ténèbres”. La production du film engloutit plus de 30 millions de dollars, un typhon ravage le décor, Martin Sheen est victime d’une crise cardiaque, Brando arrive obèse sur le tournage. Coppola lui-même perd pied et devient le sujet de crises mystiques. Présenté à Cannes en 1979, le film est couronné d’une Palme d’Or. Les échecs commerciaux des films suivants (Coup de coeur et Cotton Club) mettent Coppola dans de sérieuses difficultés financières qui l’obligent à répondre à des commandes (Captain Eo pour Disney) et à se consacrer à la production. Les années 90 sont marquées par les succès du Parrain 3 et de Dracula. Après une parenthèse de dix ans, Coppola fait son retour derrière la caméra avec des projets plus personnels tournés loin des États-Unis : L’Homme sans âge (2007) et Tetro.

La Master class a eu lieu le mercredi 11 novembre 2009 







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Simon a 12 ans et vit avec sa sœur, Louise, dans une vallée un peu désolée et industrielle, striée de routes et d’autoroutes, au pied des montagnes. Chaque jour, il s’échappe vers les sommets et dépouille les touristes, dans les vestiaires où ils se sont délestés de leurs effets, avant de se déguiser en cosmonautes de la poudreuse. Le petit voleur est un enfant sauvage. Sans parents, ni lien social visible (ni école, ni autorité, pas même celle de sa grande sœur). Ce furet au regard direct repart, les poches bourrées d’un butin qu’il revend en bas, à la sauvette (lunettes, argent, bijoux) et de nourriture pour le soir, enfournée dans son blouson d’hiver. Sa sœur est larguée, hors limites, chatte perdue entre les hommes de passage qui la battent, l’abandonnent, elle se traîne dans l’existence. Louise arbore des tenues sexy, provocantes, pour attirer les regards mais ne récolte que les ennuis. Deux êtres errants, sans port d’attache.
 
Leurs relations imprécises, flottantes, sans réels contours identifiables, demeurent le fascinant mystère et la clé de ce film impressionnant et tranchant comme la glace. Jusqu’à la révélation brutale que précipite Simon par peur de l’abandon. Il décide soudain d’abattre, pour de bon, les cartes d’un jeu biaisé, quitte à ruiner le désir d’avenir de sa « sœur » sur le chemin d’un amour qui semblait être le bon. L’un et l’autre en manque d’affection ont du mal à se rejoindre (comme en témoignera l’admirable séquence finale…) et jouent des rôles différents : Simon agit tantôt comme un père, un fils, ou un amant ; Louise se comporte en vamp immature et dépendante.


L’une des beautés de ce film âpre et magnifique tient à une série d’oppositions entre cette vallée ouvrière et les sommets lumineux où les skieurs s’adonnent à des loisirs insouciants, pendant que d’autres (des travailleurs saisonniers pour l’essentiel) triment pour leur servir une apparence de confort ; entre ce duo étrange aux aspirations brouillonnes, enfermé dans la mouise, dans une dérive sans solution, sur un non-dit explosif et enfermé dans une tour sans horizon. Couple instable sur un rafiot en perdition, êtres en fuite sur une voie sans issue.



Voleur et menteur, Simon mystifie ses proies, s’invente une vie rêvée. Il quête de l’affection, à sa manière, rebelle et touchante. De ce va-et-vient entre le bas et le haut naît une dynamique qui irrigue cette œuvre éloquente sur l’époque. Chez Ursula Meier, la montagne, filmée comme un bassin minier, est une terre sans espoir.


Présenté au festival de Berlin, L’Enfant d’en haut  qui a reçu l’Ours d’argent (mention spéciale du jury) affirme un ton et un style qui rappellent le Doillon des débuts, l’univers des frères Dardenne, l’âpreté de Ken Loach et l’empathie de Mike Leigh dont Ursula Meier serait la continuatrice inspirée. Ses interprètes crèvent l’écran : Léa Seydoux en paumée plombée, et surtout, le jeune Kacey Mottet Klein, boule d’énergie qui ne renonce jamais, monte-en-l’air déterminé et vulnérable. C’est lui qui tend l’arc de ce film jusqu’à la limite du point de rupture.   JEAN-CLAUDE RASPIENGEAS






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Pourquoi les femmes aiment-elles tant filmer le bordel ? Une langue sociologique suggère : parce que femmes et mères et amies et travailleuses, elles sont habituées à se démultiplier dans tous les sens. Une langue féministe nuance : mais aussi parce que, assignées aux tâches de rangement à la maison pendant des siècles, quand elles se libèrent, c’est par le foutoir que s’exprime leur joie. Après le succès de 2 Days in Paris qui la montrait aux prises avec un fiancé américain lâché dans Paris et sa famille française, Julie Delpy livre la suite américaine.


Retour à New York, l’héroïne s’est mise cette fois avec un humoriste noir, tandis que sa famille française débarque, toujours composée du père hippie dingo, de la sœur exhibo idiote et son petit ami juif et pas peu fier. Immédiatement, la paix devient comme un lointain souvenir, voire une légende d’un autre temps : le père se livre à ses facéties dégoûtantes de vieux baba, la sœur à ses lubies sexuelles, le petit ami de sa sœur (qui est aussi son ex à elle)s’obsède sur la coolitude new-yorkaise en brandissant un code vieux d’au moins vingt ans – en gros, il voudrait être black, rappeur, imperturbable et fumeur de shit dans toutes les circonstances.


Dans le genre devenu bondé de “la comédie avec famille dysfonctionnelle”, Delpy excelle car ses idées sont comme tirées d’une expérience de vie (réelle ou non, peu importe) qui les éloigne du pittoresque laborieusement écrit de tant de ses congénères – ses trouvailles ont la fraîcheur du crayonné, à la manière de Valérie Donzelli. Mais la vie ne suffit pas, et le goût compte aussi. Delpy a le sens des acteurs et les choisit finement – que ce soit Chris Rock, star aux Etats-Unis à la retenue subtilement effarée ici, ou Alex Nahon dans le rôle du petit ami lourdaud de sa sœur qui joue les parrains en donnant sa bénédiction à tout ce qui passe.


Et puis surtout, Delpy sous ses airs spontanés a des idées derrière la tête, c’est-à-dire qu’elle sait mettre le bordel et ordonner tout à la fois : par exemple, lors d’un dîner, elle crée la dispute nonsensique de deux sœurs dont l’une veut persuader l’autre que son enfant est autiste, tout en dressant en parallèle la discussion faussement harmonieuse d’étrangers qui en vérité ne comprennent pas un traître mot de ce qu’ils se racontent. Une langue incessante, qui se dévide sans cesse et crée comme un vertige de solitude, finit par tenir tout le film – Julie Delpy a le rythme dans l’oreille. Et puis, même si cela n’a pas de rapport, on aime toujours autant sa beauté Renaissance à qui toutes les horreurs sont permises. AXELLE ROPERT






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Jeune prof à la vie qu’on devine parfaitement rangée, Martha cohabite dans la grisaille allemande avec Paul, diplômé en médecine, qui doit être muté à Marseille. Son compagnon parti quinze jours avant elle, elle bivouaque au milieu des cartons de déménagement quand la police sonne à sa porte. En dire beaucoup plus porterait préjudice à l’intrigue. Mais on peut quand même juste ajouter, pour finir de planter le décor, que Martha ne reverra jamais Paul - sinon en photo - et qu’un certain Alexander ne tardera pas à finir de brouiller les pistes d’un récit qui, avec une indéniable habileté, alterne les postulats stylistiques en veillant à poser plus de questions qu’à apporter de réponses.



Thriller fantastique ? Mélo sarcastique ? Psychodrame parano ? Imbroglio mental à la lisière de l’aliénation ? L’Amour et rien d’autre (en version originale : Über uns das All, approximativement «Au-dessus de nous tous» - notons au passage un des titres français les plus stupides de l’année, mention au distributeur qui a cherché de la sorte à faire «grand public») avance ainsi masqué pour mieux déboucher sur une clairière dont on se doit cependant de douter de l’authenticité, tant il aura préalablement été question d’apparences, de duplicité et de faux-semblants.



Filmée par Jan Schomburg - qui possède déjà la rigueur des cousins germains Benjamin Heisenberg, Christoph Hochhäusler ou du voisin autrichien Götz Spielmann -, l’actrice Sandra Hüller  est la pièce maîtresse du dispositif. Aussi exacte en jeune femme casée qui, en une fraction de seconde, voit la terre se dérober sous ses pieds, qu’en enquêtrice froidement résolue à rassembler les éléments d’un puzzle pourtant insoluble, elle accapare l’attention de la première à la dernière image. Voire après...! 

GILLES RENAULT




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Il y a près de dix ans, Hirokazu Kore-Eda signait Nobody Knows, film bouleversant sur l’enfance. Brossant le portrait de deux frères séparés, I Wish revient aujourd’hui sur le même terrain. Il est possible de voir dans les deux films un diptyque sur les adieux à la légèreté du jeune âge. Si Nobody Knows était un récit d’initiation dramatique, I Wish en serait le versant enfantin et effronté.
 

Depuis peu, Koichi et Ryunosuke sont séparés par la rupture de leurs parents. Koichi est allé vivre avec sa mère et ses grands-parents aux pieds d’un volcan. Dans une autre ville, Ryunosuke habite un appartement exigu avec son père, éternel adolescent et guitariste de rock. Longtemps, le film de Kore-Eda reste sur le constat de cette séparation et dépeint, dans un faux rythme, les deux microcosmes des deux jeunes garçons. Dans une narration alternée, Kore-Eda s’installe avec patience dans cette famille décomposée et repousse sans cesse l’enjeu du suspense, les éventuelles retrouvailles des deux garçons.
 

Pour ceux qui aiment le cinéma de Kore-Eda, cette partie descriptive et décentrée sera une merveille sensualiste. Comme dans Nobody Knows, le réalisateur sait filmer, toujours du point de vue de l’enfance, l’éventail des conquêtes sensorielles, parfois infimes, qui font l’essence de cette période. La tape franche d’une main adulte sur une épaule, les senteurs de la confection d’un gâteau à l’igname, l’effroi d’une altercation entre adultes, l’attente du grondement d’un train à un passage à niveau, sont autant de prétextes pour évoquer cette hyperesthésie de l’enfant face aux micro-événements du vécu. Il existe toute une longue histoire de l’enfance dans le cinéma japonais. Il est difficile de ne pas imaginer Koichi et Kyonusuke en figures contemporaines des espiègles frères de Bonjour ! de Ozu ou du Village de mes rêves de Higashi. Le décor et l’époque changent mais reste constante la simplicité et la justesse du regard qui arrive à se détacher d’une certaine pesanteur d’un point de vue adulte. Si, par exemple, Ponette de Jacques Doillon est un film admirable, il est difficile de ne pas y discerner un prisme psychologique.
 

Kore-Eda préfère se rappeler que l’enfance est ce moment sur-interprétatif où l’on ne cesse de donner sens à ce qu’émet le magma du monde. Cette pensée magique est le moteur de la seconde partie du film où tout se met en mouvement. Par on ne sait trop quel raisonnement, Koichi est persuadé que la nouvelle ligne du Shinkansen qui relie sa ville à celle de son frère sera le lieu d’un miracle. À mi-parcours de la ligne, le croisement de deux TGV engendrerait une énergie propice à exhausser le vœu que sa famille soit de nouveau réunit. Dans la mise en place du stratagème qui permettra aux bandes de copains de se rendre à l’endroit du miracle, le film regagne doucement le genre du film d’aventure enfantin (on pense de loin à Stand by Me). Mais, encore une fois, Kore-Eda contourne tous les dangers qui pourraient pimenter l’aventure et préfère évoquer une parenthèse badine soustraite au temps rationalisé de l’école. Le film étonne encore par ce rythme de promeneur.
 

Le fameux nouveau Shinkansen aurait pu relier les deux garçons de manière efficace et rapide, or les enfants montent dans un omnibus pour se retrouver en rase campagne. Ce beau plan du petit tortillard qui, à travers les rizière, passe sous la voie aérienne et archi-technologique du TGV japonais synthétise ce cheminement filmique et flâneur. Dans ce désamorçage constant de l’intrigue miraculeuse, Kore-Eda nous dit finalement que l’essentiel n’est pas là, mais dans la somme d’infimes moments d’apprentissage. Que lentement il fallait grandir. Guillaume Morel





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 Dans un quartier populaire de Glasgow, Joseph est en proie à de violents tourments à la suite de la disparition de sa femme. Un jour, il rencontre Hannah. Très croyante, elle tente de réconforter cet être sauvage. Mais derrière son apparente sérénité se cache un lourd fardeau : elle a sans doute autant besoin de lui, que lui d’elle.


Acteur formidable révélé par Shane Meadows dans A Room for Romeo Brass il y a bientôt 15 ans et qui s’est ensuite de plus en plus affirmé dans des rôles incroyables dans des films l’étant tout autant, d’In America à Submarine en passant par Hot Fuzz, The Backwoods ou la grosse claque Dead Man’s Shoes, Paddy Considine passe derrière la caméra. Avec Tyrannosaur et son titre énigmatique pour un drame contemporain, il prolonge la réflexion entamée autant sur son court métrage Dog Altogether que sur Dead Man’s Shoes dont il avait signé le scénario. En cinéaste de la violence ordinaire et de la noirceur de l’humanité, il signe un film sans concession et d’une beauté troublante, entre le drame social à l’anglaise tel qu’on le connait depuis des dizaines d’années et le thriller américain dark et violent. 

 

Construit autant sur un récit magistral que sur la performance une fois de plus hallucinée d’un Peter Mullan toujours plus impressionnant au fil des années, Tyrannosaur est un petit miracle de noirceur, un miroir sur les tréfonds inavouables de l’âme humaine et un premier film d’une puissance inattendue.


Transpirant la maturité jusque dans son magnifique plan final, enfin aérien après nous avoir plongé dans la fange, porté par des acteurs au meilleur de leur forme – incroyable Olivia Colman face à un Peter Mullan impérial – et livrant des performances bouleversantes, Tyrannosaur fait partie de ces premiers films magistraux qui laissent entrevoir un avenir des plus radieux pour leurs auteurs. En l’occurrence, en plus d’être un des acteurs anglais les plus géniaux de sa génération, Paddy Considine s’avère être un metteur en scène extrêmement talentueux doté d'un discours puissant.

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Pour son premier long-métrage de cinéma, le documentariste musical J.C. Chandor frappe très fort. Le sujet même du film est déjà assez audacieux. Le cinéaste nous fait rentrer dans les arcanes de la salle des marchés d’une puissante banque américaine, ce qui n’est pas a priori le terrain le plus favorable à une intrigue qui puisse intéresser tout le monde. Nous rentrons dans l’histoire en même temps qu’une équipe de « nettoyeurs » débarque dans la salle des marchés pour faire le ménage parmi les employés et leurs superviseurs. La banque se réorganise et laisse du monde sur le carreau, de manière impitoyable, dont  Eric Dale (Stanley Tucci). Celui-ci dirige une équipe de traders et est sur le point de déceler quelque chose d’important lorsqu’on le chasse sans ménagement de l’entreprise. Il a le temps quand même de glisser une clé USB dans laquelle figure son travail d’analyse à un jeune trader en qui il a confiance. Quand celui-ci va jeter un oeil au dossier, il se rend compte que la banque se trouve dans une situation inextricable…


Le film que J.C. Chandor nous donne à voir s’inspire à l’évidence de la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre 2008, épicentre d’une crise financière mondiale avec ses répercutions économiques, politiques et sociales. Margin Call est forcément né de l’observation de cette crise, de comment elle est née, via le système des subprimes.


J.C Chandor construit son film sur le modèle d’un film policier et entretien d’abord un véritable suspens à propos de la nature véritable du problème découvert. Le premier pari du cinéaste est amplement gagné. Malgré un jargon un peu technique et des données financières que le quidam trouvera complexes, il construit un récit intelligible et cohérent de telle manière que le spectateur n’est jamais perdu. Peut-être cela parce que les dirigeants de la banques eux même ne comprennent pas grand choses aux chiffres qu’on leur présente. Il y a tout un travail de pédagogie à leur adresse qui est effectué et qui va droit aux spectateurs.


Margin Call, c’est l’expression du capitalisme financier dans sa forme la plus monstrueuse. Le film est cinglant, glaçant même, et a le mérite de révéler par les moyens de la fiction les causes d’une crise exceptionnelle. Le film est important pour cela mais il est aussi impressionnant de maîtrise. Porté en plus par un casting exceptionnel, Margin Call est un film majeur des temps actuels. Benoît Thevenin







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A suivre prochainement...